Synode : une révolution en marche… lente ?

posted on 24 NOVEMBRE 2023 by RENÉ in JE VOUS LE DIS COMME JE LE PENSENOTES DE LECTURE with 4 COMMENTAIRESsur synode : une révolution en marche… lente ?

Synode : une révolution en marche… lente ?

Faut-il vraiment s’étonner, à la mi-temps, de n’avoir pas encore le résultat du match ? 

La première Assemblée synodale « sur la synodalité » s’est achevée à Rome le 28 octobre, avec la publication d’une “Lettre au peuple de Dieu“ et d’un “Rapport de synthèse » de quarante-deux pages. La montagne aurait-elle accouché d’une souris comme le dénoncent certains, ou d’un véritable monstre droit sorti de l’Apocalypse comme le prétendent certaines plumes traditionalistes ? Ce qui est sûr, même si cela est  peu perçu, est que la culture synodale semble faire son chemin. Et que c’est, en soi, une forme de révolution. Sera-t-elle, à terme, intégrée par l’ensemble du “peuple de Dieu“ : laïcs, diacres, religieux, prêtres, évêques…et pour déboucher sur quelles pratiques nouvelles, sur quels changements ? Nul ne peut le dire ! Sinon que la « réception » de ce synode reste, quelle qu’en soit l’issue, lourd de menaces pour l’unité de l’Eglise. 

Dans le lycée catholique du Sud-Aveyron où j’ai fait ma scolarité, l’un de nos professeurs avait la réputation d’arriver toujours en cours avec cinq minutes de retard. La « rumeur » (bienveillante) disait qu’étant asthmatique, il attendait que la poussière du couloir qui desservait les salles de cours soit retombée pour s’y risquer ! Je ne sais pourquoi c’est l’image qui, spontanément, m’est venue à l’esprit, pour justifier – ce que personne ne me demande vraiment – la publication tardive de ce billet, quatre semaines après la clôture de la première session du Synode. Donc après que la poussière des commentaires soit retombée. Entre les tenants de la « chronique d’un échec annoncé » au seul motif que le synode n’a pas voté l’accès des femmes au sacerdoce, et les pourfendeurs de « l’hérésie en marche » au motif que ce pape tiendrait la Tradition pour susceptible d’évolution, peut-être y a-t-il place pour une autre analyse du texte ! Pour moi ce rapport de synthèse est tout simplement remarquable ! 

Des textes votés à une majorité voisine des 95%

Deux mots sur sa structure. Le document ne fait qu’une quarantaine de pages, très lisibles, auxquelles chacun peut accéder notamment sur le site de la Conférence des évêques de France. L’introduction est suivie de vingt chapitres thématiques tous organisés de la même manière : d’abord les points de réflexion qui font consensus, puis les questions à approfondir dans la perspective de la seconde session du synode prévue pour l’automne 2024, enfin les propositions d’action à engager sans plus tarder. 

Rappelons ici que la pratique synodale, aussi bien pour les synodes d’évêques à Rome que pour les synodes diocésains, requiert une majorité des deux-tiers des votants pour qu’une proposition soit considérée comme adoptée. Ici, pas de vote global sur la totalité du rapport de synthèse mais des votes séparés sur chaque paragraphe, soit 273 scrutins dont le détail a été mis à la disposition de la presse, en toute transparence et qui est consultable par tout un chacun. (1) Première surprise, trop peu soulignée, la quasi totalité des votes révèlent des majorités supérieures à 95% de oui. Preuve que la quête de consensus – quoi qu’on puisse penser du résultat – n’a pas été vaine. Voilà donc une Assemblée synodale composée d’évêques et de non-évêques – une première – hommes et femmes, venus des cinq continents qui valident avec une seule voix contre l’introduction du rapport de synthèse, par deux voix contre sa conclusion. Les textes les moins bien votés ont néanmoins été approuvés à 80%. Deux textes qui, comme par hasard, portent sur la question de l’accès des femmes au diaconat, sujet décidément sensible dans le monde catholique ! (2) Un score « à la soviétique » s’étranglent certains pour mieux dénoncer les manipulations supposées du pape pour obtenir un tel plébiscite. 

De la collégialité épiscopale à la synodalité du peuple de Dieu 

Encore faut-il regarder de près ce qui fait consensus et qui pourrait être du registre de l’eau tiède. Or il n’en est rien. L’assemblée valide l’idée que la synodalité, décriée ici ou là, fait partie, en réalité, de la tradition de l’Eglise, « réactualisée » par Vatican II et « renouvelée encore par François ». Autant dire que la nouveauté introduite par le pape qui élargit la participation synodale à des non-évêques est entérinée. « La dynamique synodale articule les dimensions communautaire (« tous »), collégiale (« quelques uns ») et personnelle (« l’un ») de l’Eglise aux niveaux local, régional et universel. » (13a) (3) Ce qui suscite des cris d’orfraie dans certains milieux qui y voient une dérive potentiellement hérétique : « On entend donc passer de la collégialité conciliaire, qui ne concernait que les évêques, à la synodalité, qui va concerner l’ensemble du peuple chrétien. »

L’infaillibilité du peuple croyant, tous chrétiens réunis

Le texte de synthèse synodal enfonce le clou : « Les processus synodaux permettent de vérifier l’existence de ce consensus des fidèles (consensus fidelium) qui constitue un critère sûr pour déterminer si une doctrine ou une pratique particulière appartient à la foi apostolique. » (3c) De même « Tous les chrétiens participent au sensus fidei. » (7b) ce qui signifie : non seulement les catholiques : laïcs, diacres, religieux, prêtres, évêques et pape, mais également les chrétiens d’autres confessions. On est bien là dans une vision œcuménique, ouverte par ailleurs sur l’universel : la synodalité perçue « comme marche des chrétiens avec le Christ et vers le Royaume, avec l’ensemble de l’humanité » (1h). 

De même, font consensus l’idée que « la fraternité évangélique est comme une lampe », et donc que le fait d’être chrétien se situe d’abord dans l’agir avant que dans l’adhésion à une doctrine ; l’idée que « unité et variété » sont à vivre comme richesse ecclésiale et non comme contradiction; qu’il existe bien des « conditions structurelles qui ont permis (…) les abus » (1e) dans l’Eglise, ce qui ratifie la notion controversée – y compris au Vatican – de “systémique“; que dans la longue histoire de l’Eglise « la proclamation de l’Evangile a été associée à la colonisation et même au génocide » (5e) ; que « c’est à une femme, Marie de Magdala, (que) Jésus a confié le soin d’annoncer la résurrection au matin de Pâques. » (9a); que la complexité des questions nouvelles soulevées dans les débats dits sociétaux oblige à reconnaître que « les catégories anthropologiques que nous avons développées ne sont pas toujours suffisantes » pour les appréhender avec justesse (15g); ou encore, dans un autre domaine, que définir la priorité de l’engagement des laïcs chrétiens comme présence au monde « ne peut devenir un prétexte pour attribuer aux seuls évêques et prêtres le soin de la communauté chrétienne. » (18b). J’ai la faiblesse de penser que ce n’est pas médiocre, même si, à cet stade, ces convergences ne débouchent pas encore sur des décisions concrètes. 

Vers un ministère de la Parole de Dieu ouvert aux laïcs ? 

Et pourtant, les “propositions“ formulées à la fin de chaque chapitre, constituent bien, déjà, des décisions sous forme d’orientations ou d’approfondissement à engager, dès à présent. Je note :  « expérimenter des formes de décentralisation » (5m) ; « réviser le code de droit canonique » (1r); « poursuivre la réflexion théologique et pastorale sur l’accès des femmes au diaconat » (9h); « réviser en profondeur la formation au ministère presbytéral » (11j); inclure les prêtres qui ont quitté le ministère dans un service pastoral » (11l); élaborer une configuration canonique des Assemblées continentales » (19m) où l’on peut lire l’esquisse de futurs patriarcats catholiques; ou encore, à mettre en œuvre dans la perspective de la prochaine session du synode : « encourager les initiatives permettant un discernement partagé sur les questions doctrinales, pastorales et éthiques controversées. » (15k)

Et je terminerai sur cette « proposition » dont la pertinence – et l’urgence – n’échapperont à personne : rechercher « une plus grande créativité dans la mise en place de ministères en fonction des besoins des Eglises locales, avec l’implication particulière des jeunes. Les tâches du ministère du lecteur pourraient se voir élargies (…) Un véritable ministère de la Parole de Dieu pourrait ainsi être mis en place qui, dans des contextes appropriés, pourraient inclure également la prédication. » (8n) Ce n’est pas encore l’ouverture aux laïcs hommes et femmes de la fonction homélitique différente de la prédication (3) mais reconnaître, déjà, que les ministères ordonnés n’ont pas le monopole des charismes au service de la communauté et qu’il faut en tirer clairement les conséquences est un vrai pas en avant. On m’objectera que cela se pratique déjà, ici où là. Mais donner un fondement, opposable à tous, à cette pratique, est d’une autre ordre. 

Creuser les désaccords pour tenter de les réduire

Restent, je l’ai dit, pour chaque thème, des questions qui « font débat » et sur lesquelles, pour l’heure, aucun consensus n’est envisageable. Des questions qui vont nourrir les travaux préparatoires de la seconde session synodale d’octobre 2024, sans que l’on sache très bien, pour l’heure, selon quelles modalités et dans quelles instances. A dire vrai leur énonciation surprend peu tellement on sait les sujets clivants.

Le rapport de synthèse propose de réfléchir : à la manière de mieux intégrer dans l’Eglise « la contribution de la pensée théologique et des sciences humaines et sociales » (2h); à traquer « la confusion possible entre le Message de l’Evangile et la culture de l’évangélisateur » (3h) ce qui vaut aussi à l’intérieur de l’Hexagone; à « discerner l’action de l’Esprit de la pensée dominante incompatible avec l’Evangile » (3h); à clarifier – nous l’avons déjà évoqué – la question clivante de « l’accès des femmes au diaconat » (9j); à préciser les « conditions d’un exercice plus collégial du ministère papal » et son inscription dans le code de droit canonique (13d); à « approfondir la nature doctrinale et juridique des conférences épiscopales en reconnaissant la possibilité d’une action  collégiale jusque dans les questions doctrinales qui émergèrent dans le domaine local » ce qui est sans précédent (18g); enfin : à « identifier les conditions favorisant une recherche théologique et culturelle qui part de l’expérience quotidienne du saint peuple de Dieu et se met à son service. » (15j) plutôt qu’une “verticalité théologique » partant de vérités de tous ordres, toutes considérées comme également intangibles, à traduire dans un langage contemporain… Ce qui semble engagé par le récent motu proprio du pape François appelant l’Académie pontificale de théologie à une “révolution culturelle courageuse ». 

Comprenons-nous bien, ce qui fait ici consensus est le constat de désaccords sur ces questions mais tout autant la nécessité de les creuser pour tenter de les réduire. Tout cela m’objectera-t-on, a maintes fois été formulé sous une forme ou sous une autre sans guère d’effet concret. On me pardonnera la « faiblesse » – ou la naïveté – de prendre acte de propositions d’approfondissements qui me semblent essentiels car ils conditionnent, pour nombre d’entre eux, le cadre théologique, canonique et pastoral dans lequel pourraient s’inscrire des réformes à venir que le pape François n’est pas légitime à imposer… sans cet aval du Synode. 

Il est prématuré de conclure à l’échec du processus engagé…

Inutile de prolonger plus avant l’analyse de ce document. La question, à ce stade, est de savoir comment les chantiers identifiés – et on a vu leur nombre et leur complexité – vont pouvoir être menés, où, par qui et selon quelles procédures, pour éclairer la seconde session synodale d’octobre 2024 qui devra, elle, déboucher sur des propositions concrètes. Et comment les « vents contraires » qui vont redoubler de la part des adversaires de François, vont pouvoir être maîtrisés. 

Contrairement à d’autres commentateurs, je trouve donc prématuré de conclure à l’échec du processus engagé par le pape François au motif que rien n’a encore été décidé. Encore une fois faut-il s’étonner vraiment qu’à la mi-temps du match on ne dispose pas encore du résultat final ? Et qu’on refuse de considérer que la modification même des règles du jeu, devenue nécessaire et désormais validée par le Synode de l’Eglise catholique, soit à ce point valeur négligeable. Je n’en crois riens ! Pour autant, rien n’interdit de s’interroger sur les conséquences possibles des décisions qui seront prises ou non, au terme de cette consultation sans équivalent du « peuple de Dieu ». Je crois l’avoir fait, pour ce qui me concerne, en conclusion de la plupart des billets que, depuis deux ans, j’ai consacré aux bilans d’étape de ce Synode.  

Immobilisme ou changement également porteurs de risques

Je retiendrai, parmi d’autres, les contributions récentes au débat de la théologienne Marie Jo Thiel et du sociologue Jean-Louis Schlegel, tous deux pointant un risque d’implosion dans l’Eglise. « Si aucune décision notable n’est prise l’an prochain, la déconvenue risque d’être profonde » analyse la théologienne, qui laisse percevoir la menace d’une nouvelle vague de “départs“. Pour le sociologue, paradoxalement, ce ne sont pas les catholiques d’ouverture, déçus, qui prendraient l’initiative d’un schisme. « Ils n’iront pas créer une autre Église, mais continueront le combat dans l’actuelle, ou partiront ailleurs, dans d’autres Églises, ou encore se retrouveront dans des groupes affinitaires plus conformes à leur compréhension de l’Évangile. » En revanche, il pourrait venir – une nouvelle fois – de la « tradisphère » qui nourrit «  les soupçons et les accusations (…) contre François de trahir la Vérité » et formule des « menaces à peine voilées de rejeter toute réforme non conforme à la « vraie Tradition ».

Une “approche renouvelée de la vocation universelle de l’Église“

Citons enfin, la sociologue Danièle Hervieu-Léger, au travers d’une tribune au quotidien catholique La Croix qui situe avec justesse la dynamique ecclésiologique du pontificat du pape François, et partant, du Synode sur la synodalité. « L’appel à faire droit à la pluralité et à l’équité culturelles au sein même de l’Église (…) participe d’une reconfiguration ecclésiologique majeure, qui place à l’horizon de l’accomplissement de l’Église, non pas l’englobement uniformisant de tous les peuples placés sous sa gouverne « jusqu’aux extrémités de la terre », mais la réalisation dynamique, à inscrire concrètement dans l’histoire, d’une communion fraternelle rassemblant ces peuples, dans leur diversité, en un seul Peuple. (…) Cette approche renouvelée de la vocation universelle de l’Église arrache la notion de « mission » à l’imaginaire de la conquête ou de la reconquête : elle la renvoie à une manière d’habiter le monde en vue d’un bien commun, inséparable de l’accomplissement communautaire et spirituel promis par le christianisme. Le pape François en convient lui-même : l’avènement de ce « style chrétien » qui requiert de « penser et travailler comme frère de tous peut sembler une utopie irréalisable »« Nous préférons, ajoute-t-il, croire que c’est un rêve possible car c’est le rêve même de Dieu. Avec son aide, c’est un rêve qui peut commencer à se réaliser aussi dans ce monde »

Pour une Eglise tout entière synodale

Redisons-le ici d’une phrase à ce stade du processus synodal, l’inconnu porte sur les propositions qui découleront de la seconde session d’octobre 2024, de ce que le pape François en assumera dans son exhortation apostolique post synodale puis de la docilité des évêques, des prêtres et de l’ensemble du peuple de Dieu à les mettre loyalement en œuvre. Ce qui suppose le préalable d’une entrée de la culture synodale pour toutes les communautés, y compris diocésaines et paroissiales, ce qui reste peut-être l’enjeu ultime de ce synode. 

A l’été 2013, quelques mois à peine après son élection, le pape François déclarait dans son interview aux revues jésuites : « Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement. Parfois, au contraire, le discernement  demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois. » (5)

1 – On trouvera le détail des votes dans le document du Vatican ici en lien. Il faut cliquer, en haut de page, sur : Risultati delle Votazioni.

2 – On peut lire avec intérêt l’ouvrage récemment paru aux éditions Salvator : Se réformer ou mourir, sept théologiennes prennent la parole. 184 p.,18, 80 €

3 – Ces indications renvoient au texte de la synthèse : ici chapitre 13, paragraphe a.

4 – L’homélie actualise le texte biblique et prépare les fidèles à entrer dans la célébration de l’eucharistie. Elle est réservée à un ministre ordonné (diacre, prêtre ou évêque)

La prédication, elle, peut prendre deux formes : savante, elle propose un commentaire sur un thème tiré de la Bible ; populaire elle s’attache à la dimension religieuse et morale de la vie des fidèles. Elle n’est pas réservée aux clercs.

5 – Pape François, l’Eglise que j’espère, Flammarion/Etudes 2013, p. 36

Source: https://www.renepoujol.fr/synode-une-revolution-en-marche/?fbclid=IwAR3afMeTJAMQ8k49EYKul46ujNvKCp6a1z_0iZGuJEoK-6w4mAdLVWgjy1I



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